Quelque part entre deux montagnes, au détour d’un lac, dans un paysage où tout semble paisible — une rêverie, là où le silence paraît total. L’air s’y accroche aux cimes, glisse sur la surface de l’eau, puis s’évanouit dans la lumière. Le vent ne fait pas de bruit ici, il murmure. Le monde semble s’y arrêter, suspendu à quelque chose d’invisible. Les arbres se balancent à peine, comme s’ils retenaient un secret. L’eau, parfois, frissonne d’un souffle imperceptible — celui du temps, ou peut-être de la mémoire. Le jour avance lentement, sans urgence, laissant à la lumière le soin de changer les contours, de redessiner les choses sans jamais les briser. Ce décor paraît presque immobile, mais il respire. Sous la surface tranquille, quelque chose se tend. Le moindre bruit devient message, la moindre onde semble porter une émotion. Ici, chaque silence dit quelque chose.
On y sent la vie circuler autrement, comme un battement discret, enfoui sous la beauté du paysage. C’est un endroit où la nature garde le secret des voix, où l’écho ne disparaît jamais vraiment. Peut-être est-ce là, justement, que tout commence — dans cette tension infime entre la paix et le mouvement, entre ce qu’on retient et ce qu’on laisse aller. C’est là, entre deux battements du monde, que quelque chose commence à naître. Un son, d’abord fragile, se mêle au vent avant de trouver sa forme. Une résonance qui s’étend, se déploie lentement dans l’air. On ne sait pas encore si c’est une note, un souvenir, ou simplement une émotion qui prend vie. C’est dans cet entre-deux, à mi-chemin entre la sérénité et le frisson, que la musique de Between the Lakes a vu le jour — un souffle né du silence, une clarté née du repli.
Dying Wisdom en ouvre les premières plaies. Les mots y parlent d’un savoir ancien qui s’efface, d’une conscience fatiguée par la répétition. “I forget what I knew, I forgive what I am” (J’oublie ce que je savais, je pardonne ce que je suis) murmure presque la voix — un renoncement lucide, presque apaisé. Le morceau n’explose jamais vraiment : il se consume lentement, comme une flamme qui choisit d’éclairer plutôt que de brûler.
In Limbo poursuit ce voyage intérieur. C’est une errance sans fin, un pas après l’autre dans le brouillard. “I’m standing still, but the world keeps turning” (Je reste immobile, mais le monde continue de tourner) — l’impression d’être là sans y être, de flotter au bord de soi-même. Le son s’étire, cherche un centre, sans jamais le trouver. Les guitares ondulent, la voix hésite, s’élève, retombe. Ce n’est pas une perte, c’est une suspension : un instant où tout se tait, sauf la conscience de ne plus savoir où aller.
Et puis, au cœur de ce brouillard, une première lueur.
Premier éclat de cette rêverie, le 1er novembre 2024, avec Stargazing. Derrière son apparente douceur, la guitare installe une tension lourde, presque cosmique. “I wish I could stay here, where everything feels real” (J’aimerais pouvoir rester ici, là où tout semble réel). La chanson contemple le ciel comme on cherche un sens — dans le vide, dans l’attente, dans la lumière qui s’éloigne. Chaque accord semble peser, comme si le monde retenait son souffle. Le morceau évoque la solitude moderne, cette fatigue silencieuse qui s’installe quand le bruit du monde devient trop grand. Et pourtant, entre les lignes, une lumière persiste, fragile — obstinée, celle du regard qui se lève malgré tout. Stargazing ouvre la porte de Rêverie comme on entrouvre une fenêtre : doucement, pour laisser passer un peu d’air, un peu de ciel, et cette clarté qui naît toujours dans le flou. La guitare trace des lignes claires et mouvantes, la basse pulse comme un cœur sous la peau, et la voix se tient à la frontière — entre retenue et éclat. Il y a, dans cette tension, quelque chose de la liberté de Bring Me The Horizon, et cette profondeur presque spirituelle qu’on retrouve chez Architects — une façon de transformer la lourdeur en lumière, sans jamais perdre la sincérité. Rêverie n’explique rien, il laisse deviner. Il parle moins d’explosion que de résonance, moins de colère que de clarté. Chaque son semble naître d’un instant suspendu, comme si la musique, ici, servait à apprendre à respirer dans un monde qui retient son souffle.
Between the Lakes, c’est un duo formé en 2022 à Xonrupt-Longemer, au cœur des Vosges. C’est là, entre deux lacs et deux silences, que le groupe trouve son nom — un lieu où le calme cache toujours un courant sous-jacent. Les montagnes autour veillent comme des gardiennes, et les brumes matinales semblent flotter au rythme de leurs chansons avant même qu’elles ne soient écrites. De cet environnement est née une musique à leur image : introspective, lumineuse, traversée de tension. Le projet réunit Thibault (chant, guitare) et Valentin (basse), deux musiciens portés par la même envie : donner une forme sincère et mélodique à la force brute du metalcore. Leur son mêle puissance et retenue, rage et clarté, comme si chaque note cherchait son reflet dans l’eau immobile. Ils puisent leur énergie au cœur de la scène britannique, là où le genre s’est réinventé entre intensité et émotion. On retrouve dans leur musique la force collective et l’énergie fraternelle de While She Sleeps, cette manière de faire du chaos un espace de cohésion, d’y mêler la rage à l’espoir. Chez Bullet for My Valentine, ils empruntent le sens de la mélodie et cette émotion brute qui traverse la violence sans la diluer. Deux influences qui ne dictent rien, mais qui accompagnent — comme des éclats de mémoire dans le bruit du monde. Ces forces — la puissance et la clarté — traversent toute la musique de Between the Lakes. Le duo ne cherche pas à impressionner, mais à faire vibrer. Là où certains appuient sur la colère, eux la transforment en lumière.
Between the Lakes nous emmène là où le temps se plie, là où la lumière s’attarde avant de disparaître. Rêverie ne se vit pas vraiment, elle se traverse, comme un paysage que l’on contemple depuis la vitre d’un train, sans savoir où il s’arrête. La musique s’y déploie comme une brume au-dessus de l’eau, douce, mouvante, insaisissable. Elle avance lentement, à pas feutrés, laissant derrière elle des reflets, des traces, des fragments de silence. Les guitares ondulent comme la lumière sur la surface d’un lac, la basse résonne comme un battement au fond du corps, et la voix vient y déposer cette émotion nue, à la frontière de la fragilité. Tout paraît à la fois proche et lointain, réel et irréel. On ne sait plus très bien si l’on écoute ou si l’on rêve, si la musique nous emporte ou si elle nous retient. Il y a dans Rêverie cette tension douce, presque hypnotique, celle d’un instant qu’on voudrait retenir sans jamais y parvenir.
Quand le dernier accord s’efface, il ne reste pas le vide, mais un calme diffus, un silence plein, traversé de lueurs. On ferme les yeux un instant, comme pour prolonger l’écho avant qu’il ne s’éteigne tout à fait. Le monde paraît plus lent, plus clair, comme si quelque chose s’était déplacé — imperceptiblement, mais pour toujours. Ce silence n’est pas une absence : il respire encore. Il garde la trace de ce qui a vibré, un souffle ténu qui s’accroche à l’air, comme un souvenir qui ne veut pas partir. On sent encore la chaleur des cordes, la résonance de la voix, la poussière du son suspendue dans la lumière. Tout semble avoir retrouvé sa place, mais autrement, comme si le monde avait changé d’angle sans qu’on s’en rende compte.
Et dans ce souffle suspendu, Between the Lakes nous rappelle que la musique peut encore être un refuge, un lieu où le chaos s’apaise sans disparaître, où la douceur sait contenir la force. Leur univers ne cherche pas à échapper au réel — il l’embrasse, le transforme, le rend supportable. Alors, quand tout s’éteint enfin, il ne reste qu’une impression, simple et lumineuse : celle d’avoir touché quelque chose d’invisible, juste avant qu’il ne s’efface.
Finalement — tout n’est que rêverie.




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