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Il existe des lieux qui semblent vivre hors du temps, des territoires façonnés par les cicatrices plutôt que par les frontières. Les rues désertes s’effritent sous leurs propres souvenirs, avec la poussière qui flotte dans une lumière pâle, rouge, qui s’accroche aux murs comme un souffle suspendu. Dans ces ruelles où l’air sent l’abandon, comme un Bronx oublié où les ombres s’étirent comme des fils délicats entre ce qui fut et ce qui insiste encore, il y a une forme de silence inhabituel, un silence à double fond, rempli d’histoires qui refusent de mourir et d’échos qui semblent attendre quelqu’un pour se remettre sur pied. Parfois, on jurerait que le vent lui-même hésite à avancer, comme s’il redoutait d’interrompre quelque chose d’invisible. Une tension sourde habite chaque pierre, chaque fissure, comme si le paysage gardait en mémoire tout ce qu’il avait su encaisser. Plus loin, la terre se creuse en un vaste amphithéâtre brûlé par le soleil, un Far West réduit à ses os, la roche, la chaleur, puis le silence. Les pierres y portent la fatigue des siècles, sculptées par le vent jusqu’à devenir des silhouettes immobiles, proches des géants érodés de Monument Valley.

Rien n’est intact, rien n’est mort. Ce monde respire par cycles, revient sur ses traces, creuse ses failles avant de recommencer. Un cirque naturel, chaotique, où l’érosion est une langue et la lumière une survivante. Un paysage qui semble se redessiner pour se remettre à neuf tout en restant éternellement marqué. Chaque saison y inscrit son griffonnage, chaque ombre y glisse comme une confidence, et chaque grain de poussière y voyage comme une vieille relique. Dans ces immensités figées, on sent la présence de quelque chose qui attend son heure. Une roue peut-être, une mécanique invisible, un mouvement qui cherche son élan. Comme si tout ce décor n’était qu’une avant-scène pour ce qui s’apprête à devenir un Chaotic Circus.

 

 

Wheel of Time, le premier EP de Chaotic Circus, émerge le 21 novembre 2025. Groupe de groove metal, il ne se présente pas comme une simple sortie mais comme une roue qui prend lentement son mouvement dans ce monde fissuré. On dirait que le disque naît directement de ces décombres, comme si le sol lui-même avait décidé qu’il était temps de commencer. Il arrive avec cette lente majesté qui s’élève et se forme avant de s’imposer, comme un retour du temps dans un lieu que l’on croyait perdu, comme la respiration d’un monde qui se réveille. Dans cet espace mouvant arrive un premier single, Land of Shadows, sorti le 17 avril, un duel dans la pénombre, un face-à-face où l’ombre change soudain de camp. On y traverse un territoire où plus rien n’atteint celui qui a déjà connu le pire. L’autre vise, accuse, tente de briser, mais les flèches tombent sans bruit, comme si le corps lui-même refusait d’être une cible. Dans ce titre, la douleur n’est plus une faiblesse, elle devient une vue perçante, un sixième sens né au cœur de l’obscurité. Arrive ensuite Unchained, sorti le 6 juin. C’est l’instant où les chaînes cèdent, où la culpabilité ne colle plus à la peau. Le narrateur ne se perd plus, ne s’excuse plus pour exister. Il voit les mensonges, les boucles, les courses en rond dans un bocal trop petit, et il refuse de suivre cette spirale. La terre tremble sous les pas, comprendre la douleur de l’autre sans en devenir prisonnier. « Try again » n’est pas une provocation, c’est la preuve que le pouvoir a changé de mains, une affirmation qui claque comme un verrou qu’on déverrouille. Arrive ensuite Revival, dernier souffle avant le basculement. Il cherche la vérité. Ici, on affronte une douleur ancienne qui étouffe encore, un passé qui répète ses griffes jusque dans la peau et bloque la respiration. C’est un combat intérieur, circulaire, où les mots gravés, les pensées qui débordent et l’air qui manque se répondent comme des ombres têtues. Mais au milieu de cette boucle suffocante, quelque chose change. Le regard se redresse, la haine ne sert plus de refuge, et la liberté revient par un chemin plus brut, plus honnête, celui d’être soi, enfin. Revival, c’est le moment où les chaînes cèdent pour de bon, où le cycle se referme et où le courage devient une forme de respiration retrouvée. Avec des allures et le flow de Slipknot, cette façon de mener l’énergie et de contenir la tempête, les morceaux portent les traces d’une rage maîtrisée qu’ils savent rendre tangible. Les rythmes se déplacent comme des plaques de pierre qui se heurtent, imprévisibles, mouvants, rugueux, proches de la tension brute que Trepalium sait faire monter. Chaotic Circus ne suit aucune ligne, il absorbe les influences, les modifie, les refond autrement. Et tout retombe avec la précision d’un impact qui marque la terre.

 

 

C’est en Ariège, en 2020, que Chaotic Circus naît, une terre rugueuse et silencieuse où les reliefs semblent porter leurs propres cicatrices. Là-bas, les vallées encaissées retiennent la lumière et les forêts épaisses étouffent les échos du monde. Il y a Pierre, voix et guitare, un artisan du chaos qui porte en lui la puissance brute de Corey Taylor, l’agressivité acérée de Cannibal Corpse et l’impact lourd du hip-hop US des années 90. Toute son histoire, ses cicatrices, ses colères trouvent refuge dans une musique qui ne triche jamais. Depuis 2016, il a bâti son propre studio, pierre après pierre, et fondé son label indépendant, Le Cœur du Cirque, un nom qui dit tout, l’endroit où tout commence, où tout bat, où tout s’assemble avant d’être projeté dans la lumière. Il façonne chaque détail, l’enregistrement, le mix, le mastering, les visuels, jusqu’aux stratégies qui tracent leur chemin dans l’ombre. Chaque son, chaque image, chaque souffle passe entre ses mains, avec cette exigence farouche qui ne laisse aucune place au mensonge. Julien, c’est la frappe qui ne tremble jamais. Une batterie taillée pour avancer, pousser, soulever la poussière au bon moment. Il joue avec cette précision qui tranche et cette puissance qui s’ancre, héritée des mélodies d’Iron Maiden, de la rage compacte de Slipknot, de l’intensité brûlante de Bring Me The Horizon et de l’urgence nerveuse du punk-rock. Chaque coup qu’il porte a un poids, une intention, une direction. Son jeu, toujours au service du morceau, agit comme un moteur enfoui sous la terre, implacable, régulier, indispensable. Un battement qui ne faiblit jamais. Fred, c’est la voix grave du cirque, celle qui parle quand les mots se dérobent. Bassiste de longue date, il sculpte chaque note avec la précision d’un artisan qui connaît la matière par cœur. Ses influences, de la mécanique implacable de Meshuggah aux grooves imprévisibles de Primus, nourrissent une quête constante, trouver la ligne juste, celle qui porte, qui frappe, qui respire au bon endroit. Sous sa nature sociable, une pensée foisonnante tourbillonne, plus dense qu’il ne le laisse paraître. Elle trouve refuge dans son jeu, construit, méticuleux, chargé d’une sincérité brute et d’une intensité parfaitement tenue. Chaque vibration semble creuser un sillon discret mais essentiel dans la poussière du chaos. À eux trois, ils ne forment pas seulement un groupe, ils tiennent debout comme un pilier dans ce cirque. Leur musique n’est pas une façade ni un prétexte. C’est une manière d’habiter le chaos, de le comprendre, de le transformer. Un langage, une respiration, un territoire. Dans leurs compositions, on distingue parfois un goût pour la narration tordue et théâtrale qui rappelle Avatar, et des éclats de tension viscérale directement hérités du metal plus brut. Par moments, des éclairs imaginaires surgissent, des images presque irréelles rappelant la folie chromée de Laser Mountain. Pourtant, ces influences ne dominent jamais, des empreintes légères qui dessinent les reliefs du son. Chaotic Circus absorbe ces mondes pour en faire son propre univers, forgé sur un souffle de groove metal.

 

 

Le cirque s’immobilise un instant, comme si la terre elle-même retenait son souffle. La poussière rouge flotte dans l’air, suspendue, traçant des arcs fragiles au-dessus des pierres fendues. Rien ne bouge vraiment, mais tout semble sur le point de se réveiller, comme si le monde attendait un signal, une vibration, un battement pour recommencer à respirer. Puis, quelque part sous les failles, un grondement discret s’élève, profond, ancien, presque imperceptible. Une roue invisible commence à tourner. Pas une roue mécanique, mais une roue de temps, de souvenirs, de poussière et de lumière. À chaque rotation, les ombres reculent d’un pas, les ruines s’éclairent d’un reflet, les reliefs semblent se resserrer autour d’une vérité qui cherche à remonter. Le cirque entier prend vie, lentement, comme un cœur qui recommence à battre après un long sommeil. Alors les silhouettes apparaissent. Trois formes d’abord indistinctes, modelées par la lumière rouge qui glisse entre les roches. Elles avancent sans crainte, comme si elles connaissaient déjà les chemins secrets qui serpentent entre les fissures. Leurs pas soulèvent des volutes de poussière qui ondulent dans l’air avant de retomber en silence. Elles ne domptent pas le chaos, elles marchent en lui, avec lui, comme si le paysage se recomposait autour d’elles.

La lumière devient plus dense, le vent s’élève, les ombres changent d’angle et s’étirent jusqu’à rejoindre celles du cirque. On dirait un rituel ancien qui se réactive, un alignement rare entre la terre, la pierre et quelque chose de plus profond. Les sons, même les plus subtils, prennent une importance nouvelle, le froissement d’un pas, le souffle du vent, le craquement lointain d’une roche encore chaude. Tout devient matière, tout devient écho.Et dans ce mouvement lent, presque cérémoniel, le chaos cesse d’être une fracture. Il devient une direction, un langage, une manière d’habiter le monde. Un espace où les cicatrices ne sont plus des limites mais des passages. Le cirque ne s’écroule pas. Il s’ouvre. Il ne hurle pas. Il respire. Et les trois silhouettes avancent, non pour refermer ce qui a été brisé, mais pour tracer, dans la poussière rouge, le premier pas d’un cycle qui recommence.

 

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